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  • nathyamb

Un an plus tard, la France comme le Darfour

En une année, les images apocalyptiques se sont déplacées, de manière frappante, d’une Côte d’Ivoire martyrisée par la France à une France déstabilisée par les «raisins de la colère» de ses enfants maudits.




Novembre 2004 : Sous le soleil, une foule de manifestants pacifiques en sit-in devant un grand hôtel. Ils sont jeunes et leurs armes : des pancartes aux slogans sardoniques, des balafons, des drapeaux. Derrière des rouleaux de barbelés, ils chantent, ils dansent et avec leur joie de vivre, ils narguent ces militaires retranchés dans la tour majestueuse. Tout d’un coup, les assaillants français se mettent à tirer dans le tas. Stupeur, panique, colère. La boucherie de l’hôtel Ivoire vient de commencer, se terminant avec le départ précipité de la junte française qui laisse derrière elle un amas de corps sans vie. 63 morts, des centaines de blessés. La veille, les hélicoptères tricolores bombardaient la population qui tentait de traverser les ponts, calcinant au passage humains et véhicules.


Novembre 2005 : Les images sont apocalyptiques. Des bâtiments, des voitures, des poubelles sont en flammes. Des hordes de jeunes encagoulés balancent des cailloux, des pioches, des cocktails Molotov sur des troupes de gendarmes, de policiers et de pompiers, qui reculent devant la charge. Dans la nuit embrasée, les explosions succèdent aux cris de rage dans un crépitement de violence. Couvre-feu, état d’urgence. Gaza, Beyrouth, Bagdad, le Darfour ? Non. Paris, Toulouse, Strasbourg, Lille.


Surprise pour personne sauf pour la classe politique française, la guerre des banlieues ravage l’Hexagone. Muré dans un autisme démultiplicateur de violence, le gouvernement s’entête à nier l’évidence : la France, cette « grande » Nation donneuse de leçons, est en proie à un conflit social et ethnique qui trouve ses sources dans la discrimination raciale et la pauvreté lampante auxquelles sont confrontées les populations issues de minorités.


La Côte d’Ivoire souffre d’avoir été colonisée par la France. Il suffit de faire un tour au Ghana, au Kenya, en Tanzanie pour se rendre compte que le handicap à surmonter par le pré carré français est de taille. L’Afrique Noire francophone porte sur son corps de longues et profondes scarifications : corruption, bâclage, obscurantisme, népotisme… Toutes les tares du colon français ont été inculquées à coups de fouet, de bottes et de kalachnikovs à l’Africain que l’on pensait dompté, ad vitam aeternam.


Les décennies se sont écoulées, la colonisation s’est camouflée dans les atours plus présentables de l’aide au développement, des accords de coopération et de défense, mais la réalité est restée la même. La croissance française passe par l’exploitation impudique de l’Afrique. Dès lors qu’un grain de poussière vient à se glisser dans ce mécanisme bien rôdé, la machine s’enraye.


La mue s’opère, irréversible. Des hommes libres, fiers et dotés d’une intelligence politique hors du commun accèdent à la magistrature suprême en Côte d’Ivoire. Sous la conduite de Laurent Gbagbo et de Mamadou Koulibaly, les Ivoiriens revendiquent le droit d’être libres de choisir. Il fait peu de doute qu’ils y arriveront. Soutenues par Thabo Mbéki, la libération et l’émancipation de la Côte d’Ivoire, et par extension celles de l’Afrique, avancent inexorablement. Pendant ce temps, la France, dirigée par Jacques Chirac, ne fait plus illusion : comparée à ses voisins européens, la patrie de Bécassine a revêtu ses haillons de pays en voie de développement. « Ce Chirac est nul. Il a tué l’Europe, abaissé la France. C’est le plus mauvais président qu’on ait jamais eu, nul de chez nul. Calamiteux !» Paroles de Dominique Paillé, député UMP des Deux-Sèvres.


En France, une grenade est lancée dans une mosquée en pleine prière, des Noirs et des Arabes sont brûlés, maltraités et terrorisés sans qu’aucun officiel ne juge utile de s’en offusquer. En Côte d’Ivoire, l’armée française assassine, braque, viole, intimide et étouffe des Africains dans des sacs en plastique sans que cela ne suscite une émotion particulière. Il serait temps que Chirac et Alliot Marie pensent à rappeler la Force Licorne, peut-être plus douée pour karchériser la racaille à Clichy-sous-Bois que pour renverser le Président Gbagbo. Et tous ces expatriés français en Côte d’Ivoire, que les média hexagonaux s’entêtent à présenter en victimes cloîtrées et terrorisées, de se dire, lors de leur promenade quotidienne en famille au bord de la lagune Ebrié, que finalement, il fait quand même mieux vivre à Abidjan qu’à Argenteuil.


Aujourd’hui, l’émotion n’est plus nègre. Elle est française.


in Le Courrier d'Abidjan, 09/11/2005

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