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France-Afrique: Chronique d'une mort annoncée


Hier, le Congo, le Rwanda. Aujourd’hui, la Côte d’Ivoire, le Togo. Demain, le Gabon, la Centrafrique et peut-être le Cameroun. Alors que l’opinion publique occidentale commence à s’étonner du rejet virulent de la France dans les pays africains, les médias hexagonaux entament une remise en question de la politique africaine de Jacques Chirac.

‘‘L'Afrique a mal à la France. Et – cela est moins probant, mais réel – la France a mal à l'Afrique. Car Paris voudrait bien. Il ne faut pas en douter. Mais Paris est dépassé. Au point de ne plus se rendre compte des répercussions que peuvent avoir en Afrique les mots prononcés sur les bords de la Seine. En qualifiant de «succès» un scrutin togolais à la légitimité douteuse, le ministre des Affaires étrangères, Michel Barnier, a paru nourrir la crise et semblé contribuer à exacerber un ressentiment antifrançais déjà présent, de longue date, à Lomé’’, selon Patrick de Saint-Exupéry du Figaro.


Le soutien de Chirac «à l'improbable Faure, dont le quitus hâtif de Barnier au déroulement des élections n'est que le dernier exemple en date», est ainsi ouvertement critiqué par le journaliste de Libération Gérard Dupuy, appuyé en cela par le journal Le Monde qui, dans son éditorial du 28 avril, martèle : «Il est temps que la diplomatie française adopte une ligne claire et compréhensible, favorable aux principes du droit».


La néocoloniale française dans l’impasse


Mais cela est d’autant plus difficile que pour la France de De Gaulle, de Pompidou, de Mitterrand, de Chirac, (et demain, celle de Sarkozy ?) les notions de «paix» et «démocratie en Afrique» sont totalement antinomiques avec le maintien et la sauvegarde de ses intérêts. Alors que les Anglais, ayant constaté la fin inéluctable du colonialisme, procèdent à une césure nette en privilégiant l’option «trade instead of domination», la France s’obstine coûte que coûte à vouloir rester maître de l’Afrique noire francophone, contribuant ainsi, bien malgré elle, à mettre en évidence le lien existant entre son passé colonial et l’état actuel de déliquescence du continent.


L’une des plus grandes erreurs chiraquiennes est d’avoir pensé pouvoir continuer de cogérer les destinées africaines en soutenant complaisamment des potentats tropicaux sélectionnés, sans tenir compte de l’évolution inexorable de l’espèce noire, à qui on a refusé de façon constante le droit à l’autodétermination. «Coupée de ses traditionnels piliers d'influence (Houphouët-Boigny à Abidjan, Mobutu à Kinshasa, Eyadema à Lomé...), l'ancienne puissance tutélaire est comme privée de boussole sur l'Afrique», analyse le Figaro. En effet, une fois disparus ceux que Paris a mis en place au forceps, les Etats qu’ils laissent derrière eux sont difficilement viables.


Quand Gbagbo résiste aux Français comme Astérix aux Romains


A trop entraver les droits historiques, économiques, socioculturels et politiques des populations noires, la France a allumé le brasier de la résistance parmi la nouvelle génération d’Africains et Africaines : «L'ancien pré carré n'en finit pas de rétrécir comme peau de chagrin. Le problème de la France en Afrique, c'est que, quoi qu'elle fasse, elle est désormais soupçonnée du pire», dixit Christophe Ayad et Thomas Hofnung du journal Libération.


Signe des temps : le fait même que le président ivoirien Laurent Gbagbo soit encore en vie et au pouvoir après avoir ouvertement défié Chirac rend compte de l’évolution de la situation. Les destins brisés de Boganda (Centrafrique), Tombalbaye (Tchad) ou Lissouba (Congo) témoignent en effet du sort réservé à ceux qui osaient jusqu’ici contester, ne serait-ce que de façon discrète, la tutelle de la France en Afrique. Le président Camerounais Paul Biya fera également les frais de cette politique de rétorsion. Arrivé au pouvoir en 1982, il prononce un discours mémorable en 1983, lors duquel il assène : «Le Cameroun n’est la chasse gardée de personne». Cette remise en cause implicite de la mainmise française aura pour résultat une tentative de coup d’Etat qui manque de le renverser en 1984. La longévité imprévue de Laurent Gbagbo à la tête de l’Etat ivoirien est-elle donc due à l’inénarrable adresse du président ivoirien ou à la pantelante incompétence de son homologue français?


Qui aide qui ?


Jacques Chirac qui, à chaque sommet international auquel il assiste, tente de se positionner en chantre des peuples opprimés, n’en est pas à une contradiction près. En effet, embourbé dans sa politique africaine obsolète et incongrue, il en arrive même à dépeindre le continent noir comme un boulet attaché à son pied que la France traînerait derrière elle par pure bonté d’âme. Mais qui entrave qui ? Qui a besoin de qui ? L’Afrique, productrice de pétrole, de cacao, de café, de coton, de gaz, de cobalt, de cuivre, de diamant, de manganèse, de banane ? L’Afrique et ses millions de consommateurs pour les biens et services hexagonaux?


De fait, la France a toujours eu besoin de la Côte d’Ivoire et des autres territoires de ce qu’elle a jusqu’ici considéré comme son pré carré, et elle ne souhaite rien de plus que de continuer à s’en servir pour équilibrer sa balance de paiement, résorber son taux de chômage et relever les défis de la croissance sans avoir à en assumer les conséquences politiques ou le coût social.


Prix à payer


Le double jeu de la France consiste à faire croire à son désengagement, alors qu’elle ne prend ses distances que pour mieux rapatrier ses bénéfices, fruits de l’expansion de ses multinationales. Mais, «incohérente…, [la politique africaine de la France] révèle chaque jour davantage ses limites. [Elle] obéit à une logique simple : maintenir les conditions d’enrichissement de la France à travers des liens d’ «amitié» et de «coopération» anciennement établis» d’après l’ex-ministre de la Culture et du Tourisme malienne Aminata Traoré. Et, «dépossédés des richesses de nos sols et sous-sols, de nos savoirs, et savoir-faire, nous ne serons plus dans un proche avenir que des peuples qui se saisiront des armes justes pour survivre», prophétise-t-elle, comme un écho au journal Le Monde, qui présume, à juste titre, que les Français finiront par payer le prix fort pour l’embarrassante politique rétrograde de Jacques Chirac.


Nathalie Yamb in Le Courrier d'Abidjan, 23/05/2005


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